L’île qui se répète de BENITEZ ROJO et ses liens avec l’œuvre d’Edouard Glissant.
Article écrit par Claudia Barrera. Juin 2018. Version originale française suivie de la traduction espagnole de l’auteure.
L’unité des Caraïbes par une poétique de la culture
La diversité méthodologique des études caribéennes, liées aux divergences des situations colonisatrices, empêche pour l’instant la constitution d’une vision plus élargie et plus autonome. Deux axes sont au cœur du développement de ces pensées. La première interroge la colonisation des cultures, des langues et modèles économiques venus du Portugal, de la France, de l’Espagne, de la Hollande et de l’Angleterre. La seconde questionne une unité géopolitique où la mer convergerait pour former une « Nouvelle Région du Monde » comme l’appelle Glissant, retrouvant ses territoires, ses frontières et ses fragments.
L’enjeu est celui de la constitution d’une nouvelle épistémè prenant en compte à la fois les traits communs et les dispersions établies par les colonisations.
Certains auteurs tels qu’Édouard Glissant et le cubain Antonio Benitez-Rojo (1931-2005), parmi d’autres, pensent l’unité des Caraïbes dans la diversité. Ils renouvellent les études en sciences sociales, en art ou en philosophie et fondent de nouveaux enjeux, tout en demeurant en lien avec les historiographies particulières, les conditions économiques et sociales spécifiques, et les richesses culturelles des multiples syncrétismes. La pensée poétique devient le lieu possible d’une telle approche et la philosophie seule, sans poésie ne saurait convenir à une telle pensée archipélique.
Les lieux-communs entre Glissant et Benitez-Rojo
Tous deux font référence à la théorie du Chaos qui s’occupe de systèmes dynamiques, et non pas seulement des composants de la matière, et souligne l’existence de comportements imprévisibles et de systèmes où l’ordre et le désordre fonctionnent de manière complémentaire. Quand Glissant parle des conséquences de la Relation, il invite à percevoir une série inattendue d’événements où l’imaginairecollectif s’ouvre vers « l’éclat d’unité ». C’est par la poétique que l’étendue de la Relation prend sens : « Qu’est-ce ainsi une philosophie de la Relation ? Un impossible, en tant qu’elle ne serait pas une poétique.» Le dés-ordre crée des rencontres inattendues de cultures, et leurs convergences, les flux constants qui transforment les dynamiques des langues et des langages créent de nouvelles poétiques. Chez Glissant le sentiment d’appartenance et la compréhension de la Nature nourrissent les détails baroques de son œuvre. Un nouveau paradigme appert où l’homme entre en Relation avec l’eau, la terre, le feu et les vents. Les diverses phases des histoires confrontées ont une particularité : le Chaos-monde s’organise vers l’affleurement d’un nouvel imaginaire géopoétique. La Relation met en lumière des éclats poétiques et par sa puissance créative converge en de nouvelles dynamiques sociales de créolisation.
De son côté Benitez-Rojo fait référence lui aussi à la théorie du Chaos comme figure méthodologique en réinterprétant les sciences sociales, la littérature, la philosophie et l’historiographie des différentes régions de la Caraïbe, ce afin de créer un nouvel axe d’études. Il évoque les aspects communs et les régularités qui incessamment se répètent, tout en préservant les distinctions. Par exemple, selon lui, le rythme et l’« action expressive » des caribéens sont des traits communs, mais spécifiques à chaque peuple. Il associe le magique et le scientifique, la mythologie et l’historiographie dans une pensée non prévisible et non linéaire qui véhicule les événements des diverses poétiques. La Caraïbe devient un système turbulent ou chaotique où les régularités présentent des traits uniques, mais variant en fonction des machines de production économique et des lieux de créolisation. « Ainsi, pourrait-on dire que la Plantation se répète sans cesse dans les différents états de créolisation qu’ici et là-bas existent nos performances culturelles, la langue et la musique, la danse et la littérature, la nourriture et le théâtre, la religion et le carnaval. »
Ces deux écrivains forgent leur noyau commun dans l’historiographie éparse des romans. La question de la complexité des singularités Caribéennes implique une poétique des spécificités historiques propre à chaque population outragée par la conquête et l’esclavage. La fiction retrouve sa place et nourri l’imaginaire des non-dits de l’Histoire. La socio-anthropologie culturelle des lieux s’ouvre à l’histoire singulière des personnages. La compréhension de la géopolitique, des paysages, des événements et profils psychologiques caractérise les moments des différents peuples et régions des Caraïbes. Il n’est pas question de permettre au discours de l’Histoire avec H majuscule, de remplir les vides ou ne pas donner voix au silence de certains types de brutalités commises contre les populations. La littérature cesse d’être une simple fiction pour présenter des réalités masquées par le discours colonisateur et officiel. La métaphore et l’imaginaire sont une puissance générative de sens pour que les expériences à la fois communes et spécifiques dialoguent entre elles.
Les deux penseurs envisagent une dimension globale. « La créolisation » chez Glissant et « la répétition des traits communs » chez Benitez-Rojo portent traces de conditions venues d’ailleurs. L’unité de la Caraïbe se déplace constamment vers l’ailleurs, mais depuis son propre lieu. La poétique de la Relation et la poétique des répétitions s’ouvrent à l’étendu globale et ne se suffisent pas à elles- mêmes.
L’enjeu de penser l’unité de la Caraïbe
Il n’est pas question d’entrer ici plus avant dans les analyses des liens comparés entre les œuvres de Glissant et de Benitez-Rojo. La vision unitaire et intégrative des Caraïbes demande une nouvelle compréhension du traitement des sciences sociales à la fois comme étude d’une culture régionale et de cultures spécifiques. Chaque trait du « tout » est une partie du régional spécifique et concret qui ne saurait être compréhensible hors des singularités historiographiques et ethnographiques de cette région du monde. L’identité relationnelle n’est possible pour ces auteurs qu’à partir de la Plantation au XVIème siècle et de la traite de l’esclavage.
L’ile qui se répète, écrit dans sa version définitive en espagnol (1998), est le livre plus important de Benitez-Rojo et n’a pas encore été traduit au français. Deux éditions anglaises existent. Cette œuvre, originale par sa méthode, envisage une nouvelle manière de penser les sciences sociales et de traiter le discours métaphorique de la Caraïbe. Benitez-Rojo interroge les sources venues d’Occident et propose une méthode qui rassemblent des notions communes, des récits et des expériences vécues de peuples unis d’une certaine manière dans leurs comportements, leurs rythmes, leurs histoires, leurs sociétés, l’oralité, l’expressivité, les carnavals et les fêtes. Il surmonte comme Glissant le régional pour dialoguer avec l’étendue. Le déplacement de l’ici vers l’ailleurs donne du sens aux fragments forgés et noués dans cette région.
Ecrire le lieu d’entente entre ces deux écrivains et penseurs nous permet de mettre en évidence l’histoire. Ils évident tous deux le discours de vérité du colonialisme et rendent compte d’un imaginaire politique qui ne peut se constituer que par le vécu d’une poétique des cultures. Les Caraïbes ont une dimension culturelle et un imaginaire d’intégration à faire valoir. Les expressions poétiques et les vécus grotesques de l’extrême violence colonisatrice et de ses ravages sont mises en perspective et dépassée dans une compréhension des syncrétismes et des richesses culturelles ainsi surmontées. Il s’agit de comprendre cette région de toute évidence unique au monde depuis l’ailleurs, celui qui lui a donné en tous les cas ses enjeux, ses richesses et déchirements.
Au-delà des visions issues de balkanisations régionales, des multiples fragmentations politiques et langagières, la vision intégrée rend compte des identités pour apprécier leurs singularités. Cette quête d’une épistémè invite à un rassemblement contre la machine colonisatrice et à une résistance qui pourrait se difracter en échos dans toute la région, sinon au niveau mondial. Les imaginaires noués par Glissant et Benitez-Rojo reprennent les symboles de cultures avançant vers une politique du poétique. Les cultures, les symboles et les imaginaires propres aux Caraïbes pourraient consolider des stratégies d’entraide et démultiplier des Relations, et créer des méthodes d’études concernant le bassin, les archipels et le monde. Demeure cependant l’utopie nécessaire pour faire barrage à la division menée par la colonisation, les diverses exploitations et les actuels pouvoirs économiques.
- Édouard Glissant, Philosophie de la relation. Poésie en étendue. Paris, Gallimard,2009, p.82.
- Antonio Benítez-Rojo, La isla que se repite. Edición definitiva. España: Editorial Casiopea, 1998, p.398.
La Isla que se repite de Antonio Benítez Rojo y sus vínculos con la obra de Édouard Glissant.
La unidad del Caribe desde una poética de la cultura
La diversidad metodológica de los estudios del Caribe se encuentran ligados a situaciones colonizadoras divergentes, impidiendo por el momento la constitución de una visión más amplia y autónoma. Dos ejes están en el corazón del desarrollo de estos pensamientos. El primero cuestiona la colonización de culturas, idiomas y modelos económicos de Portugal, Francia, España, Holanda e Inglaterra. El segundo cuestiona una unidad geopolítica donde el mar convergería para formar una « Nueva Región del Mundo », como lo llama Glissant, recuperando así sus territorios, sus fronteras y sus fragmentos. El desafío de la constitución de una nueva episteme tiene en cuenta tanto las características comunes, como las dispersiones establecidas por las diversas colonizaciones.
Algunos autores como Édouard Glissant y el cubano Antonio Benítez-Rojo (1931-2005), entre otros, piensan en la unidad caribeña desde sus diversidades. Renuevan sus estudios en las ciencias sociales, el arte o la filosofía creando nuevos desafíos para al mismo tiempo permanecer en contacto con las historiografías particulares, las condiciones económicas y sociales específicas respecto de las riquezas culturales de los múltiples sincretismos. El pensamiento poético se convierte en el “lugar posible” para estos análisis que, por sí misma, la filosofía no daría cuenta sin el “pensamiento archipiélago”.
Los lugares-comunes entre Glissant y Benitez-Rojo
Ambos utilizan la teoría del Caos, que se ocupa de los sistemas dinámicos y no sólo de los componentes de la materia enfatizando en la existencia de sistemas donde el orden y el desorden crean comportamientos impredecibles, funcionando de manera complementaria. Cuando Glissant habla de las consecuencias de la Relación, nos invita a percibir una serie inesperada de acontecimientos en donde la imaginación colectiva se abre hacia « el destello de la unidad ». A través de la poética de la extensión que la Relación recobra su sentido: « ¿Qué es pues en sí una filosofía de la Relación? Un imposible, sino fuese una poética.” El des-orden crea encuentros inesperados entre las culturas y sus convergencias, constantes flujos transforman las dinámicas de los idiomas y lenguajes creándose así nuevas poéticas. En Glissant, el sentimiento de pertenencia y la comprensión de la Naturaleza nutren los detalles barrocos de su obra. Aparece un nuevo paradigma en donde el hombre entra en Relación con el agua, la tierra, el fuego y los vientos. Las diversas fases de las historias confrontadas tienen una peculiaridad: el Caos-mundo se organiza desde el surgimiento de un nuevo imaginario geo-poético. La Relación destaca los destellos poéticos y su poder creativo converge en nuevas dinámicas sociales de creolización.
Por su parte, Benítez-Rojo también se refiere a la teoría del Caos como fuente metodológica al reinterpretar las ciencias sociales, la literatura, la filosofía y la historiografía de las diferentes regiones del Caribe, con el fin de crear un nuevo eje de estudios. Evoca los aspectos comunes y las regularidades que incesantemente se repiten, preservando al mismo tiempo las distinciones. Por ejemplo, según él, el ritmo y la « acción expresiva » del Caribe son rasgos comunes, pero específicos de cada pueblo. Combina la magia y lo científico, la mitología y la historiografía en un pensamiento impredecible y no lineal que transmite los acontecimientos de diversas poéticas. El Caribe se convierte en un sistema turbulento o caótico en donde las regularidades presentan características únicas, pero varían según la maquinaria de producción económica y los sitios de convergencias culturales. “Así, podría decirse que Plantación se repite incesantemente en los distintos estados de criollización que aquí y allá presentan nuestros performances culturales, el lenguaje y la música, la danza y la literatura, la comida y el teatro, la religión y carnaval. »
Estos dos escritores forjan su núcleo común en la historiografía repartida en todas sus novelas. La cuestión de la complejidad de las singularidades caribeñas implica una poética de las especificidades históricas propias de cada población ultrajada por la conquista y la esclavitud. La ficción encuentra su lugar y nutre el imaginario de lo no mencionado por la Historia. La socio-antropología cultural de los lugares se abre a la historia particular de los personajes. La comprensión de la geopolítica, de los paisajes, eventos y perfiles psicológicos caracteriza los momentos de los diferentes pueblos y regiones del Caribe. No se trata de permitir el discurso de la Historia con H mayúscula, ni de llenar vacíos o de no dar voz al silencio de ciertos tipos de brutalidad cometidos contra las poblaciones. La literatura deja de ser mera ficción, para presentar realidades enmascaradas por el discurso colonizador y oficial. La metáfora y el imaginario son un poder generador de sentido para que las experiencias tanto comunes, como específicas, dialoguen entre sí.
Ambos pensadores imaginan una dimensión global. La »creolización » en Glissant y « la repetición de rasgos comunes » en Benítez-Rojo guardan las trazas de condiciones de recibidas de otros lugares. La unidad del Caribe se desplaza constantemente “hacia el otro lado”, pero desde su propio lugar. La poética de la Relación y la poética de las repeticiones se expanden hacia la extensión global, sin volverse autosuficientes.
El desafío de pensar la unidad del Caribe
No se trata de ingresar aquí en análisis comparados entre las obras de Glissant y Benitez-Rojo. La visión unitaria e integradora del Caribe exige una nueva comprensión del tratamiento de las ciencias sociales, tanto como un estudio de una cultura regional y de las culturas específicas. Cada característica del « todo » es una parte específica y concreta de lo regional, que no puede entenderse aparte de las singularidades historiográficas y etnográficas de esta región del mundo. “La identidad relacional” surge para estos dos autores desde Plantación y la trata de negros nacidas en siglo XVI.
La isla que se repite, escrita durante varias décadas y publicada en su versión definitiva en 1998, es el libro más importante de Benítez-Rojo, se encuentra traducida tan sólo al inglés y existen dos ediciones en este idioma. Este trabajo, original por su método y tratamiento, prevé una nueva forma de pensar las ciencias sociales y tratar el discurso metafórico del Caribe. Benítez-Rojo cuestiona las fuentes de conocimiento occidentales y propone un método que reúne nociones comunes de las historias y experiencias vividas por los pueblos unidos gracias a una cierta manera en sus comportamientos, ritmos, historias, sociedades, oralidad, expresividad, carnavales y fiestas. Supera como Glissant lo regional para dialogar en la extensión. El desplazamiento del “aquí” hacia el exterior, el “allá” da sentido a los fragmentos forjados y anudados en esta región.
Escribir sobre el lugar de encuentro entre estos dos escritores y pensadores nos permite privilegiar la historia. Ambos expresan el discurso de la verdad sobre el colonialismo y dan cuenta de un imaginario político que tan sólo puede estar constituido por la experiencia de una poética de las culturas. El Caribe tiene una dimensión cultural y una integración imaginaria para ser valoradas. Las expresiones poéticas y las experiencias grotescas de la extrema violencia colonizadora son puestas en relieve y superadas a través de la comprensión de los sincretismos y las riquezas culturales. Se trata de entender esta región, que es obviamente única en el mundo desde “lo otro”, aquello que le ha dado en todo caso sus desafíos, riquezas y desgarramientos.
Más allá de las visiones fragmentadas regionales, múltiples balcanizaciones políticas y lingüísticas, la visión integrada da cuenta de las identidades para apreciar sus singularidades. Esta búsqueda de una episteme exige una manifestación en contra de la máquina colonizadora y una resistencia que podría difractarse en toda la región y a nivel mundial. Los imaginarios concebidos por Glissant y Benítez-Rojo retoman los símbolos de culturas que avanzan hacia una política de lo poético. Las culturas, los símbolos y los imaginarios propios del Caribe podrían consolidar estrategias de autoayuda y multiplicar las Relaciones, creando así métodos de estudio para la cuenca, los archipiélagos y el mundo. Sin embargo, subsiste aún la utopía necesaria para bloquear la división liderada por la colonización, las diversas explotaciones y los actuales poderes económicos.
- Édouard Glissant, Philosophie de la relation. Poésie en étendue. Paris, Gallimard,2009, p.82.
- Antonio Benítez-Rojo, La isla que se repite. Edición definitiva. España: Editorial Casiopea, 1998, p.398.