Japon

Écrit par Hirota Satoshi (Japon) 28 janvier 2018

Le Japon (et Édouard Glissant)

L’écho de la pensée d’Édouard Glissant parvient et résonne jusque dans un autre archipel du monde ; le Japon. Malgré l’éloignement, autant géographique que linguistique, qui sépare ces deux aires insulaires, le lectorat japonais se passionne pour ses œuvres et sa pensée. Aux côtés d’autres écrivains Antillais tels que Chamoiseau ou Condé, le travail de Glissant n’a cessé d’être présenté au Japon à travers la traduction de nombres de ses œuvres, théoriques et littéraires (voir la bibliographie ci-dessous). Pour ce pays de l’Extrême-Orient, profondément marqué par la pensée continentale que Glissant oppose à celle de l’archipel, allant même aujourd’hui jusqu’à se considérer comme une nation ethniquement homogène et linguistiquement unifiée, la pensée de Glissant comporte une dimension révélatoire. Elle apporte une nouvelle manière d’approcher la question de l’Histoire, de l’identité, et de la communauté, et incite à déconstruire le mythe de l’origine unique et de la culture trop figée du peuple japonais. Lorsqu’il écrit que « le monde en entier s’archipélise et se créolise », cette vision du monde difracte le regard que le Japon pose, soit sur l’autre soit sur soi-même.

Glissant s’est rendu plusieurs fois au Japon pour des conférences. En 1996, l’Université de Tokyo organisa, en collaboration avec l’Université Paris 8, un colloque « La modernité après le postmoderne », où Glissant donna une communication intitulée « La terre et le territoire » (voir Traité du Tout-Monde). Cinq ans après ce colloque international, Glissant fut invité pour un dialogue avec le critique essayiste japonais Shûichi Katô à la Maison franco-japonaise, autour de la question « Mondialisation et créolisation, dialogues des civilisations, métissages culturels ». Dans ce débat Katô déploie, en se référant à la vision glissantienne de la créolisation, l’histoire paradoxale du métissage culturel que le Japon a connu depuis la modernité. Glissant en revanche parle du cas de l’espace créole. Mais ce qui est essentiel selon lui, la question de la créolisation n’est pas délimitée à une seule région du monde.

Jusqu’à présent, de nombreux intellectuels japonais s’efforcent d’entrer en résonnance avec le penseur de la créolisation. Parmi les premiers, l’auteur de livres tels que Traité du Monde-Archipel, et notamment du Créolisme que Glissant mentionna dans son Introduction, est fortement inspiré par Glissant. Dans le sillage de la pensée de l’écrivain martiniquais, cet ethnologue japonais développe son ‘Heterology of cultures’, lequel vise à renverser notre manière monolithique de penser le phénomène culturel. Un autre écho retentit aussi entre la Martinique et l’archipel d’Okinawa, un département d’outre-mer japonais et victime de l’indifférence et de l’ingérence (néo-)coloniales du Japon-métropolitain. Un intellectuel autonomiste okinawaïen écrivit, en réponse au fameux Manifeste de Haute Nécessité, que « les Antilles nous sont très loin, et par conséquent très proches… », sous-entendant qu’il est possible de trouver des analogies historiques, culturelles, et politiques entre ces deux départements de la tropique. Partant de cette vision éblouissante de la géographie, l’auteur okinawain se réfère à la revendication du « poétique » que Glissant ne cesse de soutenir, pour élaborer sa propre vision de l’autonomie à venir de son pays. Le rapprochement imaginaire entre les deux archipels pourrait un jour accroître la puissance potentielle de l’écriture de Glissant.

Il va sans dire que de jeunes chercheurs japonais ne cessent d’aborder sa pensée. Quelques thèses de doctorat ont déjà été présentées, soutenues et obtenues par des étudiants japonais. Ainsi, la réception de Glissant au Japon, apparue parfois comme obscure pour le lectorat européen, se poursuit sans faiblir.

Lien vers le site de programme du colloque en 1996

Lien vers le compte rendu en détail de la communication en 2001 à Tokyo

 

 

 

Bibliographie

Traductions en japonais de l’œuvre d’Édouard Glissant

Poétique de la Relation, traduit par Keijirô Suga, Inscript, 2000.

Traité du Tout-Monde, traduit par Kunio Tsunekawa, Misuzu Shobo, 2000.

La Lézarde, traduit par Kunio Tsunekawa, Gendai Kikaku Shitsu, 2003.

Introduction à une poétique du Divers, traduit par Masatsugu Ono, 2007.

Manifeste pour un produit de haute nécessité, traduit par Takayuki Nakamura, dans la revue        japonaise Shisô, n°1037, septembre 2010.

Les Indes, traduit par Kunio Tsunekawa, Gendai Shichô Sha, 2012.

Faulkner, Mississippi, traduit par Takayuki Nakamura, Inscript, 2012.

 

Numéros de revues japonaises consacrés à Édouard Glissant

Shishô, (Pensée), Iwanami Shoten, septembre 2010, numéro intitulé : « Qu’est-ce que la « haute nécessité » ? ; autour de la potentialité créole ».

Gendai Shi Techô, (Cahier de la poésie contemporaine), Gendai Shichô Sha, avril 2011, numéro             intitulé : « Édouard Glissant : pour le Tout-Monde ».

 

Monographie d’Édouard Glissant publiée au Japon

Takayuki Nakamura, Édouard Glissant, la vision du Tout-Monde, Iwanami Shoten, 2016.