Uzeste

Écrit par Wald-Lasowski Aliocha (France) 27 janvier 2018

UZESTE

 

Uzeste Musical (Gironde), « Fête de tous les arts » depuis 1977

 

En ouverture du manifeste de la quarantième édition de la « Hestejada de las arts » (« Fête de tous les arts »), qui présente le programme des huit journées de l’Uzeste Musical. Visages Villages des arts à l’œuvre, qui se tient depuis 1977 dans cette commune de la forêt des Landes de Gascogne, en Gironde, on peut lire notamment deux citations en écho l’une de l’autre. L’une d’Edouard Glissant, « Rien n’est vrai, tout est vivant », l’autre de Gilles Deleuze : « L’art n’est pas une notion mais un mouvement, l’important n’est pas ce qu’il est, mais ce qu’il fait.»

Fête plutôt que festival, l’événement mobilise diverses formes d’expression et de création, du graphisme au jazz, dans l’esprit d’une insoumission poïélithique, qui cimente « poésie » et « politique ». Créé par un collectif d’amis, groupe d’« oeuvriers artistes » comme ils se désignent eux-mêmes, dont font partie le saxophoniste Michel Portal, le clarinettiste Louis Sclavis, le chanteur « vocalchimiste » André Minvielle ou encore la cinéaste Laure Duthilleul, l’Uzeste musical est porté depuis toujours par le musicien Bernard Lubat.

Pianiste et batteur, agitateur et poète, (dé)compositeur et improvisateur, Lubat, né en 1945, a joué avec Stan Getz ou Claude Nougaro. Touche-à-tout de génie, pratiquant aussi le vibraphone à ses heures, ses performances artistiques s’inscrivent dans la revendication politique et esthétique du processus de créolisation porté par Glissant. Dans l’éditorial de 2017, Lubat, qui a créé également la Compagnie transartistique de divagation, définit son projet : « La musique à vivre comme résistance […], la musique à vivre parce qu’elle est vivante, vitale, aimante et libre de se conjuguer avec n’importe quel Autre […], la musique à vivre par enjazzement, critique en situation critique ».

Le rapport à Glissant réside dans cet imaginaire musical de la répétition et du ressassement. Pour lui, le jazz est né de la créolisation, « avec ses soubassements africains et ses instruments occidentaux » (L’intraitable beauté du monde). De là  le chaos-opéra, tissage de textes, de chants et de musique, où s’entremêlent l’oralité et la sonorité, rhizomatique et polyphonique. L’esthétique de la variation et de l’improvisation s’appuie, chez Glissant, sur le rapprochement « des poétiques tremblantes du jazz, des gospels et des blues, des reggae et des chants du vaudou et des condomblés, bâties de traces de mémoire échevelées » (Les entretiens de Bâton Rouge).

Les timbres et mélodies du Tout-monde, organiques ou physiques, ont leur place à Uzerte, pour autant que « rythmes des matières, échos de la voix, ce sont là les manifestes humains de la différence et qui nous lient aux éléments » (Une nouvelle région du monde). Ce souffle épique, lieu originel et ouvert de l’archipel, Glissant le fait vibrer, dès les premières notes de son œuvre, en 1958, dans son premier roman, où résonnent « le rauque tremblement du trombone », « les soudaines moqueries de la clarinette » et « le tambour qui faisait trembler l’âme d’un seul et profond appel » (La Lézarde).

Chacun des membres fondateurs qui participent à l’Uzeste Musical revendique l’héritage de Glissant et poursuit à sa façon l’expression de sa poétique. Dans un entretien accordé à la journaliste Annie Yanbékian, le chanteur André Minvielle précise cette influence : « C’est souvent une musique qui m’inspire des mots. Ces mots ont souvent à voir avec l’étranger. Je mélange les langues. Ma syntaxe est très “créolisée”. Je suis complètement d’accord avec ce que disait Edouard Glissant sur le phénomène de créolisation qui consiste en une confrontation des cultures, pas en un métissage. »

Pour Lubat, la rencontre est décisive. Elle détermine aussi bien les projets artistiques, comme la participation à Improvisations en Martinique ou Jazz en créolité, que la manière de composer des albums, comme ces Chansons enjazzées qui, en 2008, proposent des « chansons créolisations », où se mêlent biguine, polka, valse, bossa nova, blues, calypso, rap scat ou be-bop.

Glissant, sensible à la rencontre expérimentale et inattendue avec les musiciens, participe régulièrement à l’Uzeste Musical. Présent en 2004 (27ème Hestejada), en 2006 (29ème Hestejada) et en 2007 (30ème Hestejada), il y est à l’écoute de l’imprévisible de la créolisation. Harmonies aussi bien que disharmonies musicales, advient la merveille.

Aliocha WALD LASOWSKI

 

Bibliographie :

Edouard Glissant et Patrick Chamoiseau, L’intraitable beauté du monde. Adresse à Barack Obama, Galaade, 2009.

Marc Chemillier, « Le jazz, l’Afrique et la créolisation. Entretien avec Bernard Lubat », Les cahiers du jazz, n° 5, décembre 2008, p. 18-50.

 

Liens :

http://www.uzeste/org./