Quilici Pancho

Écrit par Wald-Lasowski Aliocha (France) 27 janvier 2018

PANCHO QUILICI

 

Peintre, plasticien, sculpteur et sérigraphiste vénézuélien (né en 1954)

 

D’origine franco-italienne – son père est corse ; sa mère, piémontaise -, Pancho Quilici naît à Caracas. Après des études d’architecture, il se tourne vers la peinture, la sculpture et la sérigraphie. Il pratique le dessin tridimensionnel. Encouragé par le critique d’art Roberto Guevara et inspiré par le travail sur la ferraille et le métal de Jean Tinguely, Quilici présente ses premières expositions à la fin des années 1970 à la galerie Minotauro. Grâce à une bourse, il s’installe à Paris pour y créer et présenter ses œuvres.

Quilici réalise trois expositions successives à la galerie du Dragon, en 1985, 1987 et 1988. Chaque fois, Edouard Glissant participe au catalogue.

Pour l’exposition de décembre 1985, la galerie du Dragon rassemble deux séries d’œuvres en acrylique sur toile, qui sont autant de plongées visuelles vers l’horizon, depuis la hauteur de tours futuristes : la série des Horizontés (Après le pillage du côté droit au moins, Pour la surveillance du grand picnic, La Mer à boire en trois articulations, Promenade tertiaire concentrique…) et la série des Déshorizontés (Vues du côté droit au moins, Grand regard sur leur absence écoulée, Trois études pour que l’âme erre, Élévation de la promenade…). Dans le texte du catalogue, « Métamorphoses de la pierre », Glissant médite sur la ruine, signe, signature, du vertige face à l’infini : « Toute ruine ouvre sur une profondeur. Voilà pourquoi les peintres ont si souvent éprouvé la fascination des vestiges. » Comme un jeu de miroir qui capture le temps, offrant au spectateur son éclat sur les roches fracassées, dispersées.

Pour Glissant, l’œuvre de Quilici tente de projeter une perspective humaine face à un univers déserté, devant un paysage sauvage et incertain. Comment habiter un lieu de désolation ? L’art est une manière d’apprivoiser la nuit : « C’était l’agencement menacé de l’ici (la chambre, la terrasse, le balcon) qui s’efforçait d’ordonner la profusion vert-noir d’un là-bas (la mer, la forêt, l’horizon). »

Pour Glissant, la peinture s’appuie sur « le désordre : la turbulence d’une terre qui surgit ». Les tableaux de Quilici explorent la poétique de la relation entre le bâti et le rêvé, et révèlent l’unité organique du tout. Comme anticipant la conférence de Glissant en 2010 au séminaire de l’Institut du Tout-monde, qui met en jeu la rupture et la continuité entre l’obscur et le vrai, les vieilles cités humaines – anciennes villes pyramidales et temples en pierre – dans la peinture de Quilici sont des espaces frappés du naturel, transformés par l’opacité des forêts. En 2010, Glissant écrit : « Nous grandissons dans l’opaque, c’est la liberté du vivant. » En 1985, il explique déjà, à propos de Quilici : « La relation d’unicité retrouvée, par-delà le vertige d’espace, nous maintient. » Peintre de la relation, Quilici pressent les espaces dans leur mobilité. Chez lui, le nuage, matière céleste, rencontre le terrestre sacré des hommes.

Parmi les œuvres de l’exposition de 1987 : C’était un cordon électrique, Toujours vides, Voilà pourquoi elles l’étaient, Pas parce que c’était un lieu sacré et Dans les deux cas, le monologue est parallèle. Dans sa « Brève méditation en forme d’aile », Glissant insiste sur trois aspects de l’art graphique chez Quilici : la vue, le plan et le volume, qui sont ici mis en relation, sollicitant les sens, le concept, et l’être, jusqu’à ce que le peintre abolisse les distances, temporelles et spatiales, dans l’unité de l’oeuvre.

Voilà le rôle de l’art : dépasser les frontières spatio-temporelles et les intégrer dans l’éclatement de la perception. « Le jeu sévère du regard se démultiplie en mini-univers, chacun total et structuré, informe les détails de l’ensemble […]. Ainsi encore, le détail infini se hausse en monde et disperse aux frontières du tableau ses frises contemplatives ou réjouies. »

Lors de la troisième exposition, en 1988, Quilici présente Rapports au seuil, Circumambulation involutive ou Onze étapes pour une circumambulation évolutive. Glissant insiste, cette fois, sur l’évolution du travail de l’artiste : au départ, Quilici suit comme principe créatif « une manière de faire servir la règle de l’architecte à la mesure du visible ». Il s’agit d’un jeu de correspondances entre, d’un côté, les balcons, péristyles et figures géométriques et, de l’autre, les paysages de la nature. La dualité mène à une fracture en suspens, une alchimie en devenir, où se découvrent liens et jonctions, derrière la dualité apparente des univers. Ainsi, dans telle série de tableaux, les serpents métalliques créent le passage entre le calme domestique et la force tellurique des paysages.

Mais, poursuit Glissant, dans son œuvre récente, Quilici change de projet. Il ne s’agit plus de travailler la dualité de l’apparence entre monde naturel et monde construit, mais de mener une déambulation continue, en promenade inquiète du lieu, unique exploration de l’invisible. C’est ainsi que le geste créatif de Quilici fait chavirer l’œil : « La conversion du tableau en lui-même, du pays dans ses œuvres, de l’espace dans son détail, voilà le secret que le promeneur-peintre a glané au long de sa promenade : visitation, exploration, projection. »

Aliocha WALD LASOWSKI

Bibliographie :

Edouard Glissant, « Métamorphoses de la pierre », Pancho Quilici, éd. du Dragon, 1985.

Edouard Glissant, « Brève méditation en forme d’aile », Pancho Quilici, éd. du Dragon, 1987.

Edouard Glissant, « Facture / Fracture : l’univers en évolution de Pancho Quilici », Pancho Quilici, éd. du Dragon, 1988.

Edouard Glissant, « Rien n’est vrai, tout est vivant », Francofonia, n° 63, automne 2012, p. 211-226.

 

Liens :

http://panchoquilici.site.free.fr/