Au début des années 1950, Édouard Glissant fréquente à Paris un petit monde littéraire composé de jeunes amis poètes français, notamment Maurice Roche, Jean Paris et Roger Giroux. Au 7 rue Gît-le-Cœur, où Roche occupe alors une chambre, Glissant passe avec ses amis des journées à jouer aux échecs et au baby-foot, sans plus évoquer ses préoccupations littéraires. Glissant rappelle que Jean Paris ne gagnait jamais aux tournois d’échecs. L’ancien membre du Franc Jeu parle, avec ironie, d’un moment où Paris faillit remporter le jeu ; « Un jour, il[Paris] a joué avec Giroux une finale sur les marches de l’escalier de la chambre de Maurice. Il était en train de gagner quand un type a descendu l’escalier et a fichu le jeu en l’air… ». Un des derniers poèmes de Glissant « Gît-le-Cœur » détournera d’une belle manière ce souvenir joyeux des jeux avec Paris, Giroux et Roche :
« Les Destins dévalant dérivaient la table d’échecs
Le hanap du vainqueur n’est ores dans Paris, alas.
C’est une bille, c’est comme Roche, nous emmêlions.
La Tarentule, avec L’An-deux, la vie, l’Ange à Tobie ».
Ce jeune groupe se plaît aussi à le taquiner en confondant Glissant avec un autre écrivain qui passe lui aussi à cette adresse. L’auteur de Tout-monde fera raconter par la voix de Maurice Roche quel qu’énigmatique hasard autour de ces deux écrivains. « Et de fait, avez-vous noté les analogies de titre avec les romans de Glissant ? L’un a écrit La Lézarde, l’autre La Tarentule, celui-là Le Quatrième Siècle, celui-ci L’An-II, vous ne trouvez pas ça troublant ? ». Il s’agit en fait de Jacques-Henri Jouheaud, rédacteur des manuscrits de ces deux romans.
Cette camaraderie de la rue Gît-le-Cœur les amène à fonder en 1951 la revue littéraire Éléments. Selon Glissant, ce n’est aussi dû qu’au hasard qu’il ait intitulé l’un de ses premiers poèmes « Éléments » (La Mercure de France, n° 1026, 1948) trois ans avant la publication de l’unique numéro de cette revue. Chacun contribua à ce numéro en apportant son texte, Maurice Roche et Jean Paris s’occupant chacun de la direction et de la rédaction. Le siège de la revue indique le 27 rue Saint André des Arts. Glissant, quant à lui, y apporte un poème « D’un seul tenant la Terre », lequel reste non repris dans son œuvre poétique postérieure.