AGUSTIN CARDENAS
Peintre et sculpteur cubain (1927-2001)
Descendant de familles d’esclaves sénégalais et congolais, Agustin Cardenas naît le 10 avril 1927 à Matanza, sur l’île de Cuba. Le père de Cardenas est un tailleur réputé à La Havane, qui initie son fils à la conception des vêtements, coupe des tissus et à la mesure des corps, ce qui aura une forte influence sur sa pratique fluide et charnelle de la sculpture.
L’œuvre monumentale et étirée de Cardenas, autant spirituelle que sensuelle, aussi matérielle que poétique, en fait un des artistes majeurs de la sculpture moderne, aux côtés de Constantin Brancusi.
Le travail de Cardenas se caractérise notamment par l’usage original des matériaux choisis, comme le bois brûlé, le marbre veiné ou les pierres les plus diverses. On peut distinguer trois périodes dans sa création : de 1951 à 1964, il utilise le marbre blanc ou l’ébène, et se dégage alors une impression de naturel et de sensualité ; de 1965 à 1982, il séjourne en Italie et travaille à Carrare, où il exploite d’autres roches, comme le granit, et vise des coloris blanc et bleu-gris ; de 1983 à 2001, c’est principalement le bronze qui l’intéresse, matière qu’il fait venir depuis la Pietrasanta, dans le nord de la Toscane.
Elève de Juan José Sicra, son professeur à l’Académie des Beaux-arts de San Alejandro à La Havane, Cardenas construit très tôt des œuvres au format gigantesque. Les grands Totems, en hommage au peuple Dogon du Mali, figurent parmi ses œuvres les plus célèbres. Ses sculptures, aussi révolutionnaires dans la composition que dans la variété des matériaux, séduisent notamment André Breton. Le chef de file du surréalisme découvre Agustin Cardenas à son arrivée en 1955 à Paris, lorsque l’artiste s’installe à Montparnasse, et l’invite à participer à deux expositions, en 1956. La première, collective, a lieu à L’Etoile scellée, et la seconde, individuelle, à la galerie de la Cour d’Ingres.
Dans les années 1960, plusieurs expositions des œuvres de Cardenas se font à la galerie du Dragon, lieu culturel que fréquente régulièrement Edouard Glissant. En 1961, une première exposition présente une vingtaine d’œuvres du sculpteur cubain, avant d’être déplacée à la galerie Richard Feigen de Chicago, au 53, East Division Street. En ouverture du catalogue d’exposition, qui présente des œuvres comme L’Histoire n’est pas finie (1958), Petite tête (1960), Les Amoureux (1960), Chandelier (1960), Oiseau de l’espace (1960), Torse (1960), Les Gémeaux (1960), Plantes antillaises (1960) ou Portes de l’histoire (1961), Edouard Glissant signe « le monde légendaire de Cardenas », commentant la visée créatrice de l’artiste, la dimension magistrale de son œuvre.
Aux yeux de Glissant, la sculpture de Cardenas est solaire, rayonnant d’un soleil singulier, qui s’élève au milieu d’un désert, comme un totem de marbre ou de bois. Une subtile association entre la sophistication humaine et la végétation naturelle : « C’est, phénomène rare dans le monde des formes inventées, un univers qui dès l’abord révèle l’organique, l’ombre et la clarté unis, la patience à travers la matière, l’alliance inépuisable de ce qui est torride et de ce qui est nocturne […]. Ces lianes que j’entrevois grandir au long des totems, tout cela, c’est la mémoire de Cardenas, c’est son obstination à fouiller. »
Pour Glissant, l’œuvre de Cardenas possède une autre caractéristique. Elle est l’une des premières, dans l’art moderne, à faire ressentir à la fois la présence de l’histoire et la conscience du mouvement des peuples. L’artiste, explique Glissant, ne doit pas chercher à coller à la réalité, au vécu ou aux dates, mais il peut proposer, par la distance de son art, une lumière actuelle. Toute création est concrète, et cherche l’accord entre l’héritage fabuleux et passionné de l’imaginaire avec une visée moderne, ouverte et directe, en prise sur le monde.
Glissant conclut son commentaire esthétique sur Cardenas en soulignant l’enjeu de son œuvre : « Les mondes ouverts, l’ouvrage concerté, la connaissance partagée. » Voici qu’ouvrage après ouvrage, pièce après pièce, se constitue la mémoire continue du futur, dans le marbre solaire du marbre et la présence des peuples et des cultures.
Aliocha WALD LASOWSKI
Bibliographie :
Edouard Glissant, Cardenas, éd. du Dragon, 1961.
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