GALERIE DU DRAGON
Lieu d’exposition, espace d’art et de culture à Paris (1955-1995)
Sensible à la diversité de l’art, aux réseaux secrets à travers lesquels il s’écarte et se recentre, l’œuvre d’Edouard Glissant ne cesse de mettre en résonance les créations africaines, caribéennes, cubaines, amérindiennes et européennes. Il n’y a pas de meilleur accès au monde. L’œuvre d’art a le réel pour matériau. « Comme la bête fabuleuse », écrit-il en ouverture du catalogue de l’exposition Autour d’Édouard Glissant, « la peinture ne nous distrait du réel que pour mieux en soulever les houles, dans ses patientes et minutieuses relevées du Divers. » Tel est ce compagnonnage merveilleux : l’esthétique de Glissant se nourrit de la proximité qu’il entretient avec les artistes, notamment ceux qu’expose la galerie du Dragon, devenu un de ses lieux de rencontre et d’échange privilégiés.
La galerie du Dragon se situe au 19, rue du Dragon, dans le sixième arrondissement de Paris. Elle est d’abord un lieu culturel associé à la librairie du Temps, créée et animée par Nina Dausset et Manou Pouderoux, entre 1946 et 1954. Déjà, des expositions y sont régulièrement présentées, comme par exemple en 1950, autour de la rencontre entre Jean Paulhan et Jean Dubuffet.
Grâce au soutien de nombreux artistes, le jeune poète Max Clarac-Sérou reprend le bail de la librairie et en fait une galerie d’art à partir de 1955, véritable foyer de découvertes et de contacts : la Galerie du Dragon. De jeunes poètes, comme Edouard Glissant, Alain Jouffroy ou Michel Butor y retrouvent des écrivains plus âgés, Henri Michaux ou Gherasim Luca. Ils y croisent des artistes, peintres ou plasticiens, comme Giacometti, Matta ou Victor Brauner. De solides amitiés voient le jour, dans la fréquentation du lieu, où Max Clarac-Sérou ou Cécilia Ayala organisent les expositions : sur l’art cubain contemporain, en 1961, ou sur le thème de Seul, et le corps, en 1966, réunissant pour l’occasion des œuvres de Balthus, Bellmer, César, Cremonini, Dali, Giacometti, Magritte et Matta.
Des années 1950 aux années 1990, Glissant participe régulièrement aux catalogues d’exposition de la galerie. Autant d’occasion de dialoguer avec l’œuvre des artistes qu’il fréquente. Une constellation se forme, entre « guerriers de l’imaginaire », selon l’expression de Patrick Chamoiseau. Les peintres et les poètes partagent le même geste, participent d’une puissance créatrice capable de surprendre et de provoquer. Manifestes, préfaces et plaidoyers le disent : les guerriers-artistes produisent un surgissement, où réside la beauté.
En juillet 1988, la galerie du Dragon organise l’exposition Autour d’Édouard Glissant qui réunit les œuvres de vingt-et-un artistes. Toiles et créations aiguisent à leur manière la réflexion de Glissant sur les rapports entre poésie, philosophie et peinture, comme sur les thèmes majeurs de son esthétique : le paysage et la pierre foudroyée (Wolfgang Paalen), l’entrelacement et la profusion de la jungle (Wifredo Lam), l’espace sidéral dans l’imaginaire ou le réel (Roberto Matta), l’entre-coupure de mondes (Enrique Zañartu), les éclats de lumière et les atermoiements de chair (Cesare Peverelli), la ferraille, la ruine et la rouille (John Hultberg), le marbre solaire et la présence de l’histoire (Agustín Cárdenas), la boue au pied et la forêt qui marche (Irving Petlin), le chasseur masqué et la création de mythes (José Gamarra), la rhétorique flamboyante (Antonio Seguí), l’énergie et la solitude (Louis Lutz), les textures d’huile et d’aquarelle (Pancho Quilici), l’espace métaphysique de la rue, de l’avenue et de la place (Sandro Somare), la sensualité des errantes (Gabriela Morawetz), le guerrier inca et l’hoplite grec (Gerardo Chávez), les corps délités (Eva Ho), le pathétique des machines (Ramón Alejandro), la banale invisibilité du réel (Eduardo Zamora), l’œuf de l’entomologiste (Jacques Chemay), la circulation brisée (Jean Charasse) et l’aimantation galactique (Jacques Le Maréchal).
L’exposition Autour d’Édouard Glissant met en lumière une esthétique qui s’ouvre à l’art comme lieu d’innovation, laboratoire d’expressions inattendues, mémoire multiple en correspondance et en solidarité avec le temps des hommes – telle qu’est, pour Glissant, la poésie elle-même.
Aliocha WALD LASOWSKI
Bibliographie :
Autour d’Édouard Glissant. Paalen, Lam, Matta, Peverelli, Hultberg, Cárdenas, Petlin, Zañartu, Gamarra, Segui, Lutz, Quilici, Somaré, G. Morawetz, Chávez, Eva Ho, Alejandro, Zamora, Chemay, Charasse, Le Maréchal, Paris, éd. Galerie du Dragon, 1988.
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