Acoma

Écrit par Noudelmann François (Paris) Administrateur 28 janvier 2018

 

 

Acoma

 

 

Alors qu’il vient de créer l’Institut Martiniquais d’Études, en 1967, Édouard Glissant entreprend de mettre en valeur l’histoire et la culture de son pays tout en les reliant à des questions politiques contemporaines. Son lycée est un foyer de création et de réflexion qui attire nombre d’artistes et d’intellectuels. Aux expositions et à l’enseignement artistique se mêle l’analyse sociologique et politique, inspirée par les décolonisations. Glissant fonde alors une revue, Acoma, publiée par l’éditeur engagé François Maspero. Sur la couverture est affichée la définition de l’arbre « acoma », donnée par un missionnaire dominicain du XVIIe siècle: « L’acoma est un des plus gros et des plus hauts arbres du pays… On remarque que fort longtemps après estre coupé, le cœur en est aussi sain, humide et plein de sève, que si on le venait de mettre par terre ». Le but de la revue est de redonner vie à cette sève qui contient la mémoire des Caraïbes. Rédacteur en chef, Glissant ne cherche pas une tribune pour exposer ses idées et préfère donner la voix à des chercheurs et à des poètes autour de lui. Cette revue, annonce-t-il, sera « science de nous-mêmes, prescience de ce qui ne pourra être accompli que par nos peuples, et non pas décidé par des états-majors d’intellectuels ».

 

Le premier numéro est paru en avril 1971, commençant par une lettre de James Forman, un des chefs des Black Panthers aux États-Unis. Le texte de cet admirateur de Frantz Fanon se présente comme un journal de bord tenu depuis Fort-de-France. À travers lui, la revue souhaite se faire l’écho des luttes pour les droits civiques depuis la marche de Selma et le tournant révolutionnaire incarné par Malcom X. Même si Glissant précise dans son introduction que la situation des Antillais diffère de celles des Noirs américains, et qu’il ne saurait adhérer au nationalisme noir, il veut montrer les liens entre les luttes pour l’indépendance, qu’elles soient anticoloniales face à un empire ou sociales à l’intérieur d’un même pays. À l’image de l’Institut, la revue fait place à la création poétique, avec un oratorio d’Henri Corbin, à la littérature, avec une enquête de Marlène Hospice sur la « littérature nègre aux États-Unis », aux arts plastiques avec des dessins d’Anicet, Cárdenas, Segui, Petlin, et à la politique avec des comptes rendus de débats sur les conflits raciaux, l’économie sucrière et le déséquilibre mental. Les numéros suivants sont fidèles à cette traversée des savoirs et des genres, Roberto Matta écrivant et dessinant sur la révolution chilienne, Roland Suvélor rapportant des contes traditionnels, et le groupe de recherches poursuivant ses reportages sur les mouvements noirs aux États-Unis ou ses analyses sur le délire verbal coutumier. En cinq numéros, Acoma présente un paysage étoilé des peuples luttant pour leur émancipation, la revue tenant plus du laboratoire d’idées que d’une école intellectuelle.