MOTS-CLÉS NOTIONNELS : Lamentin, la Cohée, rue Léonce Bayardin, Hôtel de Ville du Lamentin
Le Franc-Jeu est une association de jeunes lamentinois [habitants de la ville du Lamentin en Martinique], fondée en 1943 en pleine Seconde Guerre Mondiale (marquée en Martinique par le gouvernement d’obédience vichyste de l’Amiral Robert, période dite « antan Wobè », et en Guadeloupe par celui de l’Amiral Sorin, période dite « antan Sorin ») de laquelle Édouard Glissant faisait partie et qu’il évoqua à plusieurs reprises[1].
Un compagnon de route d’Édouard Glissant, membre du Franc-Jeu, détaille[2] les diverses actions qui ont été mises en place par cette association : « La devise du Franc-Jeu était « jouer le jeu ». Nous nous sommes inspirés du discours de Félix Éboué[3]. Nous avons appris à nous responsabiliser à partir de cette devise. En 1945, nous étions une vingtaine de jeunes assoiffés de responsabilités et nous entendions nous faire écouter par la municipalité [du Lamentin, Martinique] d’alors qui […] ne le comprenait pas comme ça. […] L’objectif du Franc-Jeu à cette époque était d’aider la jeunesse à mieux se prendre en charge, d’une part, mais aussi à s’entraider. […] Nous avions plusieurs objectifs. 1/ Nous former nous-mêmes en nous obligeant à lire un livre et à le restituer le mois d’après sous forme de résumé devant nos pairs [par lesquels nous étions jugés]. Et il y en avait qui étaient plus « transcendants » et Édouard faisait partie des « transcendants » […] Il nous subjuguait par les conférences qu’il nous faisait. […] Comme notre principe était de nous former nous-mêmes, chacun avait sa part de responsabilité dans les exercices que nous faisions. 2/ Apporter notre contribution à ceux qui étaient moins « intellectuels » que nous, notamment leur donner quelques cours […] car certains étaient analphabètes […]. Nous acceptions de leur donner des cours du soir, et bien avant les cours [pour] adultes, nous avons fait cela. Nous avons vécu cette période [nous sommes à la fin de la Seconde Guerre Mondiale dans une Martinique qui a encore le statut de colonie] comme une période de turbulences pendant laquelle nous étions toujours sur le trottoir de la mairie […] à deviser et, le maire ne nous prenant pas au sérieux, nous nous sommes décidés à vraiment nous prendre en main. Et c’est de là qu’est né le journal La voix des jeunes que nous avons créé de toutes pièces et dans lequel nous retrouvons des articles qui aujourd’hui encore nous étonnent car ces articles étaient « avant-gardistes ». Nous traitions [des affaires] internationales, [rédigions] des chroniques cinématographiques, photographiques…Pour montrer notre volonté de rassembler la jeunesse lamentinoise, nous avons fait appel aux Aînés et ils ont accepté de nous venir en aide. Et c’est ainsi que nous est venue l’idée de créer […] le premier salon artisanal du « Franc-Jeu ». […] Notre deuxième objectif était de participer à la vie sportive. Nous avons offert à la municipalité le premier modèle de statut d’un Office des Sports […] dans lequel nous entendions être prioritaires. Et, finalement, lorsque nous avons remis le statut à la municipalité, elle [n’a pas] accepté de n’être pas prioritaire. Elle a modifié le statut à [son avantage] et nous avons un petit peu boudé l’office. Et c’est de là que nous avons créé le Sporting Club lamentinois qui [existe encore] et qui a fait les beaux jours du Lamentin au basket, au tennis de table, etc…Et finalement, Édouard [Glissant] nous a perdus de vue avec ses études supérieures et nous l’avons retrouvé autour du Prix Renaudot […]. Le Franc-Jeu est resté, pour moi, une association qui n’est pas que culturelle. [Elle n’était pas] composée que d’intellectuels, il y avait [également] des manuels et nous avons su galvaniser les Anciens comme les jeunes […]. Nous nous sommes heurtés à la municipalité d’alors mais [il] n’empêche que nous étions entendus et [que] notre exemple a été [suivi] à telle enseigne que la municipalité actuelle a même donné le nom d’une rue, la rue du Franc-Jeu, à une des rues du Lamentin, rue dans laquelle nous nous retrouvions souvent. Nous nous retrouvions au cinéma « El Paraiso » exactement à l’emplacement sur lequel a été construite cette rue. ». Le Franc-Jeu ou les débuts de l’engagement du jeune Glissant dans le politique (sans passer par une carrière politique). Poétique et Politique, déjà…
[1] https://www.youtube.com/watch?v=TaZB1oXJD3E / Extrait de Édouard Glissant, la créolisation du monde, 52 min., Réal. Yves Billy / Mathieu Glissant, Auteurs Associés / France Télévisions, 2010
[2] Entretien réalisé par Guy Deslauriers et qui se trouve dans les bonus du DVD du documentaire Édouard Glissant, 45 min., Guy Deslauriers, Kreol Productions/France 3, 2013
[3] http://www.esclavage-memoire.com/evenements/jouer-le-jeu-discours-de-felix-eboue-le-1er-juillet-1937-136.html