Linton Kwesi Johnson
Linton Kwesi Johnson est le père de la Dub Poetry jamaïcaine. En 2002, il devint le deuxième poète vivant et le premier poète noir à être publié dans la collection moderne des éditions Penguin. Linton Kwesi Johnson et Édouard Glissant, l’auteur de Poétique de la Relation[1], se sont rencontrés et ont échangé à plusieurs reprises.
Entre autres, l’auteur-compositeur-interprète fut invité au Prix Carbet de la Caraïbe 2008 en Île-de-France et dialogua avec Patrick Chamoiseau et Édouard Glissant sur les différents modes de résistances possibles et sur les processus de métissages culturels caractéristiques de la Caraïbe (on sait que l’une des approches de la créolisation fut faite du côté de la Jamaïque par Rex Nettleford dans Caribbean Cultural Identity : the case of Jamaïca, référence qu’Édouard Glissant cite à plusieurs reprises dans son œuvre) au cours de la soirée « Résistances » à la médiathèque Édouard Glissant de Blanc-Mesnil (Seine-Saint-Denis).
La même année, ils dialoguèrent dans un court documentaire intitulé Making History[2], en référence à la chanson[3] de Linton Kwesi Johnson qui figure en texte poétique dans La terre, le feu, l’eau et les vents/Une anthologie de la poésie du Tout-Monde, l’anthologie poétique d’Édouard Glissant. Dans cet échange complice entre les deux caribéens, plusieurs questions se dégagent dont, en particulier :
- La question de la diversité.
Linton Kwesi Johnson : « My understanding of diversity is we respect each other’s cultures. What they call diversity is : « You live in your own little world. And I live in my own little world ! »
Ce à quoi Édouard Glissant répond : « That’s apartheid ! », avant de parler de « the unity-diversity of the world » saying that «unity is bad if it’s only unity and diversity is bad if it’s only diversity.»
- La question de l’identité.
Édouard Glissant :
« The consciousness is not identity. Identity can be inconscious. The consciousness is a political view of the City but is not the depth of identity. »
« A fluid identity is possible when you have passed by a fixed identity and bypassed this fixed identity. »
« Identity is when you know without knowing it what you are doing in the word. What is your place and your activity and your function in the world. (That’s an) existential (question) but also the question of Relation between you and the Others. »
Les deux hommes s’étaient auparavant croisés au Caribbean Poetry Festival au National Arts Club à New York pour des lectures de poésie caribéenne, en 1992, l’année de la remise du Prix Nobel de Littérature à un autre poète caribéen, de l’île de Sainte-Lucie quant à lui : Derek Walcott.
Ils s’étaient encore croisés dans le film Nord-Plage[4]. Inspiré d’une histoire vraie, ce film conte le destin du lieu-dit Nord-Plage, village de pêcheurs situé au nord de la Martinique que certains de ses habitants veulent sauver alors que le maire de la ville les invite à être relogés dans des logements sociaux. Au milieu de l’intrigue de ce film de fiction, Édouard Glissant intervient, comme dans un entretien : « Toutes les fins de terre se ressemblent, finistères, là où la terre désire et redoute à la fois le combat avec la mer. La mer qui mange, la mer qui engloutit. Ce finistère de Nord-Plage a pourtant quelque chose de très particulier qui nous émeut et qui nous rassure en même temps. C’est qu’il semble qu’il ait drainé sur toute la terre de Martinique ce qu’il y a de mystères, ce qu’il y a de légendes, ce qu’il y a de souffrances aussi et qu’il l’ait distribué d’une manière très tranquille au long d’une seule rue qui descend vers la mer. » Plus tard, Linton Kwesi Johnson, intervient également en s’adressant directement aux spectateurs :
« Well, I heard about the plaint of the people of Nord-Plage and I came along to show my solidarity. Why the governments always try to impose their will on the people, instead of giving the people what they want ? The people don’t want to leave this place. They love this place. Why can’t they do something to save this place from the ravages of the sea ? This place has character, it has spirit. And the people need to have a sense of roots, a sense of continuity. I can feel the history in this place. It is important for the people to have a sense of belonging to somewhere and I think it would be a great shame if they loose this place. »
Voix croisées de ces deux caribéens qui posent la question de la mémoire d’un lieu, de son caractère unique et de la nécessité pour une communauté de déterminer son rapport à son espace, préoccupations toutes « glissantiennes »…
[1] Poetics of Relation (Poétique de la Relation traduit par Betsy Wing) est disponible en intégralité et en libre accès ici : http://sideroom.org/o/wp-content/uploads/edouard-glissant-poetics-of-relation-1.pdf
[2] Voir le documentaire Making History, 10 min, Caecilia Tripp & Karen McKinnon, B3 Media, 2008 :
http://www.cultureunplugged.com/documentary/watch-online/filmedia/play/4034/Making-History
[3] Morceau de musique de Linton Kwesi Johnson :
[4] Nord-Plage, 85 min., José Hayot, Les films du dorlis/Prodom/Canal Antilles/Les films du marigot, 2003
Bande-Annonce de Nord-Plage :