Vers la fin de sa vie, à partir de 2007, Edouard Glissant organisa en divers lieux ce qu’il appelait des chaos-opéras, ou des poétries, dont les premiers furent organisés avec les jazzmans Bernard Lubat et Benat Achiary. Peut-être serait-il intéressant de s’interroger sur les diverses formes qu’ont pu prendre ces chaos-opéras du premier en au dernier à l’Odéon en 2010, comme sur l’archéologie chez lui de cette notion et de cette pratique. Lectures orales de textes en divers langues, dialogues entre écrits et musiques, improvisations jazzée de lectures parlées ou quasi chantées, etc… On assiste en effet à une diversité de dispositifs, comme si Edouard Glissant cherchait une nouvelle forme scénique à même de rendre compte de ce qu’il nommait « chaos-monde ».
Pour qui a pu assister à l’un de ces évènements, l’expérience est à la fois étonnante et déroutante. Etonnante car il ne s’agit pas d’accompagnement ou encore de composition polyphonique mais d’un véritable dialogue s’instaurant entre les langues, les textes ou entre les arts sans qu’aucun, et encore moins les textes d’Edouard Glissant eux-mêmes, ou la langue française, n’ait préséance.
Déroutante en ce qu’entre ces différentes langues en dialogue par exemple, se tisse en filigrane ce que Glissant appelait « l’imaginaire des langues ». Inutile en effet de comprendre les différentes langues des textes pour en saisir la geste d’énonciation et la force d’existence. Une compréhension autre passe la question du sens. A entendre un texte dans une langue inconnue on en imagine tout aussi bien le sens et sa poésie n’en est pas moins présente.
De même, à entendre un texte dans une langue connue puis dans une langue inconnue. Ou enfin à entendre deux textes se suivant dans une langue connue. Un rapport de sens se tisse entre les deux textes qui n’appartiendra pas tout à fait à l’un ni à l’autre, ainsi que cela sera aussi mis en œuvre par Edouard Glissant dans son « anthologie di Tout-Monde », anthologie d’ailleurs à la source de la poétrie de l’Odéon en 2011.
C’est dès lors à une autre fête que celle habituelle d’un spectacle poétique ou artistique internationaliste que le spectateur, dont on comprend alors combien il est aussi acteur et diseur puisque c’est lui qui constitue en définitive du sens, est dès lors convié. Une fête collective de l’existence même de la poésie et des arts, par-delà les langues, les frontières, les méridiens, ou les partitions raisonnées des arts. Une fête du chaos-monde.
Mais laissons, sans plus de commentaire ou de redondance, parler Edouard Glissant : « les réunir (ndlr les géographies et les histoires du monde) à chaque fois dans une poétrie ou un chaos-opéra, c’est une manière fertile de se déposséder de ces lieux, pour mieux y convenir » dans une « Nouvelle région du monde ».
De Laba
Liste des chaos opéras et liens vers ces chaos-opéras
Liens vers Bernard Lubat ; Benat Achary
Lien sur l’interview de Laure Adler
Lien vers « une nouvelle région du monde »