Présence africaine

Écrit par Wald-Lasowski Aliocha (France) 27 janvier 2018

PRÉSENCE AFRICAINE

 

Mouvement autour d’une revue, d’une maison d’édition et d’une librairie

 

S’inscrivant dans le combat panafricain, comme porte-parole de revendications et lieu de débats, Présence Africaine désigne à la fois une revue créée en 1947, une maison d’édition fondée en 1949, et une librairie ouverte à partir de 1962.

Ce triple espace d’expression est né grâce à l’intellectuel et homme politique sénégalais, Alioune Diop. Celui-ci est également l’organisateur de deux congrès d’écrivains et artistes noirs, à Paris en 1956, à Rome en 1959, et le fondateur de la Société africaine de culture, en 1956, et du premier Festival des arts nègres de Dakar en 1966. Pionnière des Africana Studies, par l’invention et la circulation d’un nouvel espace théorique, Présence Africaine assure le rayonnement des cultures africaines, dans leur richesse et leur diversité, en s’appuyant sur l’engagement des intellectuels, historiens, artistes et écrivains.

Dès son lancement, Présence Africaine – qui se souvient de la rencontre, à New-York et Paris, dans les années 1920-1930, entre l’avant-garde littéraire et les mouvements politiques étudiants, africains et antillais – réunit un quatuor de fondation : Alioune Diop, Aimé Césaire, Léopold Sédar Senghor et Léon-Gontran Damas. Très vite, un large comité de patronage se constitue, avec des personnalités de premier plan, comme André Gide, Jean-Paul Sartre, Boris Vian, Albert Camus, Georges Balandier, Richard Wright, Théodore Monod, Pablo Picasso, Michel Leiris, Jacques Howlett et bien d’autres.

De son côté, Édouard Glissant, qui associe très tôt création littéraire et activité politique, participe au mouvement des étudiants africains et antillais du début des années 1950. Il collabore régulièrement à des groupes de réflexion sur le colonialisme avec Albert Memmi, Jacques Charpier, Michel Leiris et Benjamin Péret. Au cours de cette période politique très intense, Glissant publie certains de ses textes aux éditions Présence Africaine, parmi lesquels son recueil de poésies Le Sang rivé, en 1961. Il co-anime également, pour la revue Présence Africaine, la rubrique « Palabre » de 1956 à 1966, et y donne la parole aux jeunes étudiants sur les sociétés coloniales et postcoloniales en plein bouleversement. Enfin, il est un des principaux acteurs des manifestations intellectuelles organisées par la librairie et le large mouvement qu’elle fédère.

En 1956, à vingt-huit ans, Glissant est présent au premier Congrès international des écrivains et artistes noirs, dans l’amphithéâtre Descartes de la Sorbonne. Cinquante-deux hommes et femmes, d’horizon géographique et culturel divers (Afrique, Amérique, Caraïbes et États-Unis, Europe), d’engagement différent, écrivains, anthropologues, géographes, diplomates y débattent de l’émancipation des cultures africaines et caribéennes dans le monde. Les conceptions politiques, les moyens d’action divergent, au carrefour de la négritude, du marxisme, de l’africanisme et de l’anticolonialisme. L’espoir et l’urgence d’agir sont partagés.

Glissant fait partie des quatre membres de la délégation martiniquaise, avec Louis Achille, Aimé Césaire et Franz Fanon. Dans Philosophie de la Relation, en 2009, il évoque cet événement fondateur, entrée en conscience dans la totalité-monde : « Par-delà les oppositions souvent vives », se souvient Glissant, « le Congrès de 1956 a semblé rayonner d’une spiritualité toute nouvelle, mais qui a présagé pourtant les dures luttes de décolonisation qui ont suivi ».

Avec Présence Africaine, le combat se poursuit sans relâche : en tant que membre du bureau exécutif de la Société africaine de culture, créée par Alioune Diop et dirigée par l’ethnologue haïtien Jean Price-Mars, Glissant participe au deuxième Congrès des écrivains et artistes noirs, à Rome, en 1959. La même année, des émeutes éclatent à Fort-de-France, provoquées par les violences racistes, causant la mort de trois manifestants. La tension politique antillaise est extrême. En 1960, Glissant est l’un des premiers signataires du « Manifeste des 121 », appelant à l’indépendance de l’Algérie. En 1961, déçu par le Parti progressiste martiniquais, il fonde, avec Marcel Manville, Albert Béville, Alain Plenel et Cosnay Marie-Joseph, le Front antillo-guyanais pour l’autonomie. Il suit les actions culturelles menées par Présence Africaine, comme le premier Congrès international des africanistes à Accra, au Ghana, en 1962, ou la conférence de Malcolm X à la Mutualité, à Paris, en 1965. « Présence », en effet, est le mot, auquel adhère passionnément la vie et l’œuvre de Glissant.

Aliocha WALD LASOWSKI

 

 

Bibliographie :

Présence Africaine, Le premier Congrès International des Ecrivains et Artistes Noirs, numéro spécial, n° 8-9-10, juin et novembre 1956.

Présence Africaine, Deuxième Congrès des Ecrivains et Artistes Noirs, numéro spécial, n° 24-25, février et mai 1959.

Buata B. Malela, Les Écrivains afro-antillais à Paris (1920-1960). Stratégies et postures identitaires, éd. Karthala, 2008.

Edouard Glissant, Philosophie de la Relation. Poésie en étendue, Gallimard, 2009.

Marc-Vincent Howlett et Romuald Fonkoua, « La maison Présence Africaine », Gradhiva, n° 10, 2009.

Sarah Frioux-Salgas, « Présence Africaine. Une tribune, un mouvement, un réseau », Gradhiva, n° 10, 2009.

Africultures, « Glissant-Monde », n° 87, septembre 2011.

Romuald Fonkoua, « Édouard Glissant à Présence africaine ou l’intellectuel accompli », Présence africaine, n° 184, novembre 2011.

 

Liens :

 

http://www.presenceafricaine.com/