revue Franc-Jeu

Écrit par Wald-Lasowski Aliocha (France) 30 janvier 2018

 

FRANC JEU

Nom d’un groupe littéraire et d’une revue de poésie (quatre numéros, 1946)

Tout au long de sa vie, Glissant réalise de nombreux projets à dimension collective, et réunit autour d’un même objectif des contributions diverses. La revue incarne ce souci du partage et renouvelle l’enjeu du collectif.
Bien avant de fonder et de diriger Acoma, revue de littérature, de sciences humaines et de politique, entre 1971 et 1973, ou d’être le rédacteur en chef du Courrier de l’Unesco de 1984 à 1988, Glissant collabore à différentes revues, comme Les Temps modernes en 1948, Le Mercure de France dès 1949 et Les Lettres nouvelles à partir de 1954. La première revue qu’il fonde avec quelques amis lycéens s’appelle Franc Jeu.
Jeune élève, Glissant apprécie l’enseignement des professeurs, en particulier ce qui concerne l’œuvre des grands poètes révoltés, Baudelaire, Lautréamont, Rimbaud, qu’il découvre au lycée Schœlcher de Fort-de-France. La lecture des poètes agit comme une révélation.
Pendant la Seconde guerre mondiale, Glissant découvre de près l’engagement des artistes et des écrivains. Habitées par l’insurrection de la poésie surréaliste, les revues antillaises Légitime défense et Tropiques incarnent l’esprit de résistance et du combat militant. Fuyant le nazisme en Europe, de nombreux écrivains, artistes et intellectuels font escale en Martinique, avant de rejoindre l’Amérique. Agé de douze ans, Glissant croise pour la première fois Wifredo Lam, Aimé Césaire, André Masson, Claude Lévi-Strauss et André Breton. La rencontre avec l’intelligentsia française est un autre déclic.
Glissant décide alors de créer, lui aussi, une publication collective. L’adolescent fonde Caravelles, un seul numéro, en 1943, puis Franc Jeu, qui désigne à la fois un cercle littéraire et une revue, avec quatre numéros en 1946. Le choix de Franc Jeu fait sans doute référence à la revue Le Grand Jeu, qui réunissait, une vingtaine d’années plus tôt, Roger-Gilbert Lecomte, René Daumal, Roger Vailland et Robert Meyrat, jeunes gens fous de Rimbaud, partageant l’aventure éphémère d’un groupe marqué au sceau de la révolte et de la création.
De son côté, Glissant rassemble autour de lui Maurice Aliker, Prisca Jean-Marie et Laurent Ortolé. Les quatre camarades d’enfance publient des poèmes tapés à la machine sur des feuilles de papier ramassées sur le sol, qui servent à enrouler les régimes de bananes. Progressivement une trentaine de lycéens du Lamentin s’associent au groupe fondateur : « J’ai fait partie d’une jeunesse militante, aux idées bouillonnantes, saturée de politique, de poésie, de littérature », expliquera Glissant à Jean Bouvier en 1958. Mobilisant une poésie de rupture et de contestation, engageant une ouverture plurielle sur le monde, la liberté créatrice de la revue Franc Jeu accompagne l’action émancipatrice des Antilles. Glissant y réinvente, dès son premier poème, à l’âge de dix-huit ans, une langue faite de « houles » et de « ressacs », à la croisée de Saint-John Perse et d’Aimé Césaire.
Mais l’année 1946 voit aussi la fin de Franc Jeu. Après avoir rencontré des artistes haïtiens en exil à Fort-de-France, dont l’écrivain René Depestre, Glissant quitte la Martinique pour la France, grâce à une bourse d’études, plutôt rare à l’époque (cette année-là, seules trois bourses sont offertes pour les études littéraires). Commence alors un premier voyage, qui sera, pour lui, difficile.
En 1956, Glissant publie le premier volume de Poétique, Soleil de la conscience. Son essai s’ouvre par un hommage et une dédicace aux trois amis du groupe Franc Jeu. Si Soleil de la conscience est le témoignage de son initiation à la poésie, Glissant se souvient que cette ouverture au monde – humaine, littéraire, militante – s’est réalisée à travers la fondation, la naissance de Franc Jeu.

Bibliographie :
Edouard Glissant, Soleil de la conscience. Poétique I, éd. Gallimard, 1956.
Edouard Glissant, « Entretien avec Jean Bouvier », Les Nouvelles littéraires, 4 décembre 1958.

Liens :
http://www.bnf.fr/documents/dp_glissant.pdf