Geste "glissantien"

Dans l’œil du désastre

Écrit par Labays Dominique (Paris) Administrateur 2 mars 2021 Catégories : livre

Dans l’œil du désastre, créer avec Fukushima, sous la direction de Michaël Ferrier. Avec la participation de Hervé Couchot, Amandine Davre, Élise Domenach, Bénédicte Gorrillot et Clélia Zernik, Paris, éditions Thierry Marchaisse, février 2021.

 

Que faire ? La question taraude. Comment se reprendre dans l’après coup d’une œuvre dont on aura ressenti un jour l’explosante-fixe ? Que faire non pas seulement sur mais après* ou depuis Édouard Glissant ? Comme placer sa voix sans recouvrir la sienne d’une couche de terre scripturale tout en en reconduisant l’aventure ? Que faire après lui, maintenant, pour maintenant ? Depuis son décès – dix ans déjà ‒ cette question aura pu hanter.

Dans l’œil du désastre, créer avec Fukushima, est sans doute un élément de réponse.  Tout est beau dans ce livre : la composition – ce beau-livre est à lire de manière linéaire, comme si l’on regardait un documentaire sur les arts –, le propos – donner à entendre les paroles d’artistes visuels, plasticiens, vidéastes, activistes, cinéastes, dramaturges, autour d’une question désormais majeure : «  Pour la première fois, des artistes japonais de renommée internationale entrent en dialogue avec des artistes et des chercheurs français, dans leur langue ou dans la nôtre, et disent ce qu’a changé pour eux l’événement du 11 mars 2011, aussi bien dans leur pratique artistique que, de manière plus large, dans ce qu’ils perçoivent de la société japonaise. » –, la qualité des choix effectués, de la mise en page, des œuvres, des notices. Il n’est pas jusqu’au prix lui-même, attractif sur ce segment éditorial, qui ne participe à sa tenue, à sa teneur.

Ces beautés qualitatives cependant en sont éclairées par une autre, discrète et émouvante, et que l’on pourrait appeler un geste glissantien de beauté. Comment entendre autrement cette salutation de la parole, ce dialogue dense entre interviewés et interviewers – entre artistes – de différents pays, pratiques, positionnements et lieux d’énonciation, ce dialogue collectif ? Ou plutôt, comment ne pas entendre un tel geste de beauté intrinsèque au projet, comme si, en réponse à la quadruple catastrophe que l’on sait, sismique, océane, nucléaire et étatique, il s’agissait de n’en pas céder, de reconduire la question des arts face à d’autres catastrophes de toute sorte ‒ notre siècle en a déjà son lot –, et de bien des temps.

Ce beau livre est un beau livre sur la beauté, sur la ténacité, la fragilité, le tremblé et l’imprédictible de la beauté des arts quant à leurs relations au monde.

Sans doute Édouard Glissant en aurait-il été heureux. Certains beaux livres sont de très beaux livres.

* Dans un interview à paraître, Michael Ferrier devrait revenir sur cette pensée de l’après.

Sommaire :

PRÉFACE
Les artistes sont l’œil du cyclone. Michaël Ferrier

PAROLES D’ARTISTES
Le clou qui dépasse. Entretien avec Chim↑Pom (Clélia Zernik)
Danser sur un volcan. Entretien avec Aida Makoto (Clélia Zernik)
Le tremblement des valeurs. Entretien avec Ohmaki Shinji (Clélia Zernik)
Éloge de la cellule. Entretien avec Nawa Kôhei (Clélia Zernik)
Du monde flottant au monde tremblant. Entretien avec Sawaragi Noi (Clélia Zernik)
L’art peut sauver le monde. Entretien avec Kawakubo Yoi (Amandine Davre, Michaël Ferrier)
Le daguerréotype : une ancienne technique et un nouveau langage. Entretiens avec Arai Takashi
(Amandine Davre, Michaël Ferrier)
Fukushima : notre histoire. Entretien avec Fujii Hikaru (Clélia Zernik)
Le doigt pointé sur Fukushima. Entretien avec Kota Takeuchi (Michaël Ferrier, Clélia Zernik)
Dans l’oeil de Godzilla. Entretien avec Yanagi Yukinori (Clélia Zernik)

PAROLES DE PHOTOGRAPHES
Donner à voir Fukushima. Table ronde avec Thierry Girard, Hélène Lucien, Minato Chihiro
et Marc Pallain (avec la participation de l’artiste Marie Drouet). Modérateur : Michaël Ferrier

PAROLES DE CINÉASTES
Filmer Fukushima. Table ronde avec Michaël Ferrier, Claude-Julie Parisot, Gil Rabier
et Watanabe Kenichi. Modérateur : David Collin
Filmer ce qu’on ne peut pas filmer. Entretien avec Suwa Nobuhiro (Élise Domenach)

FUKUSHIMA AU THÉÂTRE : PAROLES DE DRAMATURGES
Théâtre politique est une tautologie. Entretien avec Brigitte Mounier (Michaël Ferrier)
Kassandra Fukushima : la solution mythologique ? Entretien avec Jacques Kraemer
(Bénédicte Gorrillot)
Tisser des filets sur le vide. Entretien avec Yoann Moreau (Michaël Ferrier)
20 mSv : les lieux meurent comme les hommes. Entretien avec Bruno Meyssat (Michaël Ferrier)

POSTFACE
L’inesthétique. Hervé Couchot

annexes
Notes
Présentation des participants
Origine des textes et des images hors-texte
Remerciements

Lien externe : présentation de l’ouvrage sur le site des éditions Thierry Marchaisse

https://www.editions-marchaisse.fr/catalogue-dans-loeil-du-desastre.html#.YD4ZDpvjIdU

Lien interne : article sur l’ouvrage « Sympathie pour le fantôme » de Michaël Ferrier.

https://edouardglissant.world/wp-admin/post.php?post=482&action=edit