ANDRÉ ET SIMONE SCHWARZ-BART
En premier lieu, il convient de rappeler qu’Édouard Glissant et André Schwarz-Bart se sont connus et fréquentés à Paris alors qu’ils étaient tous deux jeunes écrivains. En effet, Glissant obtint le Prix Renaudot en 1958 pour son premier roman La Lézarde alors que Schwarz-Bart obtint le Prix Goncourt l’année suivante, en 1959, pour son premier roman Le dernier des Justes. Leur entrée dans le monde littéraire se fit au même moment… Dans les années 1950, André Schwarz-Bart rencontre une jeune étudiante guadeloupéenne, Simone Brumant, qui deviendra sa femme et avec laquelle il s’installera en Guadeloupe jusqu’à sa mort. Dans un travail d’écriture complice, ils écriront des œuvres majeures de la littérature antillaise : Un Plat de porc aux bananes vertes (Simone et André Schwarz-Bart, 1967), La Mulâtresse Solitude (André Schwarz-Bart, 1972), Pluie et vent sur Télumée Miracle (Simone Schwarz-Bart, 1973), Ti Jean l’horizon (Simone Schwarz-Bart, 1979), Ton Beau Capitaine (Simone Schwarz-Bart, 1987), L’ancêtre en Solitude (Simone et André Schwarz-Bart, publié après le décès d’André Schwarz-Bart, 2015).
En 2008, à la Région Île-de-France, le Prix Carbet de la Caraïbe (prix littéraire dirigé par Édouard Glissant de 1990 à son décès) fut décerné à André (à titre posthume) et à Simone Schwarz-Bart « pour la beauté douloureuse de leurs œuvres particulières et pour la réussite de leur œuvre commune qui a préfiguré les poétiques de la Relation de notre monde » selon les mots d’Édouard Glissant. Le discours du Jury[1] prononcé par l’auteur guadeloupéen Ernest Pépin indique ce que le prix littéraire dirigé par Édouard Glissant a tenu à honorer : « Destins noués aux souffrances de l’histoire […], Simone et André Schwarz-Bart, tout en écriture croisée, ont défié les barrières en tissant le métissage des mémoires crucifiées [la Shoah et la mémoire de l’esclavage américain] et des générosités littéraires. Et nous frémissons toujours de ce tremblement qui habite leurs pages d’un vœu de commuer les blessures en lumière sensible. Parce qu’ils avaient en héritage l’Inhumain des tragédies terrifiantes, ils ont fait surgir la conscience solidaire d’une saisie du vivant comme une transcendance. […] André et Simone nous ont appris à toucher nos ombres pour mieux nous sentir, à traverser nos peurs pour trouver nos soleils, à aimer nos défaites pour fêter notre grandeur. Et tout un paysage de feuilles et de rivières, de cachots et de cauchemars […] de cannes maudites et de racines de barbadine s’est fait chant d’envoûtement pour nous remettre aux mains du monde tels des nouveau-nés. Ce monde où la Shoah et l’esclavage avaient meurtri le grand songe d’une possible fraternité. Ce monde à dépasser non par l’oubli mais par la mémoire fascinée de toutes les barbaries. Ce monde de camps de Plantations qui n’étaient rien d’autre que la préfiguration des camps de concentration dont ils avaient saisi la démesure commune à l’échelle de la démesure. Et le génie d’André Schwarz-Bart a été de comprendre que les souffrances doivent être solidaires si l’on voulait changer l’ordre de la cruauté, de comprendre qu’il fallait convertir les souffrances en expérience pour éviter le cercle des récriminations et des repentances, de comprendre qu’il n’y avait pas de monopole des souffrances et d’adopter sans réserve la Guadeloupe de Simone Schwarz-Bart comme un lieu de réflexion sur l’histoire du monde. Ce en quoi Le dernier des Justes est un inclassable monument de la question humaine, monument juif, monument guadeloupéen, monument mondial, monument d’expression d’un Tout-monde ouvert à toutes les rédemptions. Et ce n’est pas par hasard que Pluie et vent sur Télumée-Miracle figure en bonne place parmi la liste de nos grands classiques comme une lecture imprévisible et talentueuse de nos chaos, de nos traces, de nos lumineux sillons d’existence. C’est le fruit d’une double fécondation à laquelle nous voulons rendre hommage, celle d’un André empruntant nos pas et celle de Simone marchant pour nous, avec nous, sur les braises d’un aller où l’île devient monde, où l’île se concentre en monde au péril des alliances nouées, et des entremêlements des humanités, des cultures et des histoires et dans l’insondable des opacités. André et Simone en honneur et en respect pour tant qui nous fut donné de la relation fragile et somptueuse de vos voix accordées au chant du Divers […] En ce jour de Prix Carbet 2008, nous vous disons « Merci ! ». »
[1] Vidéo de la remise du Prix Carbet de la Caraïbe 2008 :